Le 11 novembre 2008
« Ici-même, où nous nous trouvons, l’euphorie ne régnait certainement pas sur ce coin de France, il y a 90 ans. Il en fut sans doute encore ainsi pendant les heures, les jours et les mois qui suivirent l’annonce de l’armistice. On sait en effet, dans quel état se trouvait notre commune à la fin de la guerre. Sans aborder la douleur des pertes humaines, le décor des maisons intégralement détruites et celui de notre vieille église du XIIe siècle avec ses pans de murs ruinés, nous laissent imaginer l’ampleur du désastre. Cette guerre a incontestablement été un chaos majeur dans l’histoire de notre village. Au cours des années qui suivirent, les Guignicourtois allaient cependant courageusement refonder leur cité.
Dans les décisions prises pour engager ce chantier de 20 ans, il y eut celle du transfert du cimetière vers la sortie est du pays ; là où nous irons tout à l’heure. Cette décision était due à l’état de destruction dans lequel se trouvait le village mais aussi, au besoin de disposer rapidement d’un espace que l’ancien cimetière ne permettait plus.
90 ans plus tard, soit une vie d’homme, la mémoire s’estompe déjà et bien peu parmi nous savent qu’ici même reposent encore les restes de nos Anciens. Car les différents travaux qui ont eu lieu aux abords de l’église à diverses occasions l’ont montré : Beaucoup d’ossements gisent encore ici à quelques mètres sous nos pieds. C’est qu’en effet, seules les tombes des familles qui l’avaient explicitement demandé, ont pu être transférées route de Menneville.
Il est donc légitime qu’un monument rappelle l’existence de ces anciennes sépultures désormais anonymes. On le sait, toute civilisation qui ne respecte pas le repos de ses morts présente des signes de décadence. Ici sommeillent les restes de nos prédécesseurs qui évoluèrent de génération en génération, pendant probablement près de mille ans et sans doute bien davantage.
Lorsque l’on croyait à la résurrection, se faire inhumer supposait, selon la tradition chrétienne, de rester pendant la mort auprès de l’endroit où les messes seraient dites c’est à dire là où notre Seigneur Jésus-Christ perpétue lors de chaque sacrifice, le mystère de sa propre résurrection. Sa présence au sein de la communauté par l’Eucharistie annonce son retour à la fin des temps. C’est pour cela que les tombes sont groupées autour des églises où l’on prie justement pour les défunts. Notons que les Juifs font de même. Certains aujourd’hui encore, vont même jusqu’à se faire inhumer à Jérusalem, près de la Porte Dorée, face au temple, là où ils attendent toujours la venue du Messie.
Il se trouve que lors du mandat que j’ai du conduire à Sarajevo après la guerre civile en Bosnie, les officiers du bataillon français avaient fait tailler une croix dans cette ville parce que je leur faisais remarquer que les inhumations durant ce conflit avaient été réalisées dans l’urgence, de façon anarchique et sommaire : dans les stades de football, les squares parfois-même dans les jardins des immeubles ou encore dans des fosses invisibles. Marqués par la fin tragique de ces personnes sinistrées, certains avaient pensé que la meilleure façon de conserver leur mémoire serait d’ériger un jour une croix quelque part. La croix fut rapportée par mon bataillon en Allemagne où elle est restée plus de 10 ans en attente d’un emplacement. J’ai donc proposé à monsieur le Maire et au Père Baudoux de lui donner une place ici, à Guignicourt, pour qu’elle rappelle à la fois les sépultures oubliées de nos aînés d’avant la guerre déclenchée précisément à Sarajevo et pour y associer par là-même la mémoire des disparus de toutes les guerres.
Chers amis Guignicourtois, ce 90e anniversaire de l’armistice célébré pour la première fois cette année sans acteur de la Grande Guerre, nous donne aussi l’occasion de nous souvenir désormais des morts du village reposant ici depuis des siècles, en apercevant cette croix rédemptrice revenue de Sarajevo et plantée sur l’ancienne nécropole paroissiale. »
Général Patrick Decléty